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Soft skills : engouement justifié ou délire collectif ?


De nos jours, vous verrez rarement une offre d’emploi sans son lot de demandes concernant les soft skills (compétences douces). Passez en revue quelques offres et vous pourrez en faire une liste à la Prévert : être autonome, savoir s’adapter, savoir résoudre des complexes, avoir de l’esprit critique, être créatif, être orienté équipe, avoir de l’intelligence de situation, le sens du service, la flexibilité, l’empathie, savoir gérer le temps, savoir gérer le stress, avoir de l’audace, avoir le sens du collectif… Lesdites soft skills désignent donc des choses tout à fait différentes de nature (des traits de caractère, des traits de personnalité, la capacité de jugement intellectuel, l’intelligence sociale…); il n’est donc pas étonnant qu’il n’existe ni définition stabilisée de la notion ni théorie générale unifiée.


Désormais, le cv semble être has been, des entreprises proposent, clé en main, de fournir des « solutions » permettant de « recruter les meilleures personnalités », d’autres promettent « d’identifier les contextes dans lesquels une personne est efficace ou non dans l’exercice de sa fonction ». On pourrait multiplier les exemples « d’innovations ». Le concours Lépine des soft skills est bel et bien lancé. D’ailleurs, Pole Emploi, dans un article daté de mars 2022 prédit que d’ici à 2030, « les soft skills seront au cœur des stratégies de recrutement des entreprises ».

 

Les demandes de soft skills : une temporalité qui est tout sauf neutre


Les demandes de soft skills (et l’offre qui va avec) s’inscrivent dans une temporalité particulière. Elles émergent en même temps que l’accroissement de la demande et de l’offre de coaching, laquelle coïncide avec l’atteinte par beaucoup d’entreprises et d’organisations du fameux seuil de retournement, seuil à partir duquel un point de performance en plus produit dans l’organisation, plus de méfaits que de bienfaits, tout progrès de l’organisation s’entourant d’une auréole de désorganisations qui appelle une nouvelle salve de réorganisations et de nouvelles désorganisations et ainsi de suite. Avec les soft skills comme barrières à l’entrée (de l’entreprise ou d’une fonction) et le coaching comme investissement in situ, l’humain devient ainsi le régulateur rêvé d’un système organisationnel détraqué dans lequel le travail prescrit prévaut sur le travail réel avec les conséquences qui en découlent : coopération de survie c’est à dire une coopération réduite au strict minimum et intermédiée principalement par les outils techniques au détriment de la parole, difficultés de faire coexister les égoïsmes, défiance généralisée, sentiment d’être dépossédé de son travail…


La demande de soft skills s’inscrit ainsi totalement dans la philosophie gestionnaire de l’époque : traiter les symptômes en lieu et place des causes, s’intéresser plus à la qualité intrinsèque des individus qu’à la qualité du travail, présupposer que l’abstraction et le formalisme permettent ipso facto l’efficacité.


 

Les soft skills ne sont donc qu'un puissant leurre.


Si nous faisons l’hypothèse qu’un acteur Y a les « soft skills » nécessaires pour réaliser une tâche, il serait héroï-comique de penser qu’à lui seul, il puisse entraîner l’organisation (ceux qui concourent à la réalisation de la tâche) uniquement par le truchement de ses soft skills. Ce raisonnement ne résiste que difficilement à la réalité car le travail étant par définition collectif, les dynamiques à l’œuvre sont multidimensionnelles.


Dès lors, la prescription de soft skills apparaît comme naïve eu égard à la complexité de l’activité. Du moment où ce qui fait que « ça marche » échappe au moins en partie, à une « conceptualisation explicite » des acteurs concernés, il est illusoire de s’en référer à un référentiel de soft skills et/ou de hard skills. L’activité est énigmatique et elle le restera quoi qu’en pense les gestionnaires férus de modélisations et de prescriptions car réussir n’est pas comprendre (Piaget). Ce n’est pas parce qu’on a réussi à réaliser une tâche qu’on a nécessairement compris la manière dont nous y sommes parvenus.


La distinction soft skills et hard skills est donc tout à fait artificielle et entre en résonance avec cette propension à la segmentation de tout pour finir par faire fi de l’ensemble.

Le vrai sujet, ce n’est pas tant les « soft skills » quand bien même on pourrait les isoler indépendamment du contexte mais la capacité de toute organisation à lutter contre l’entropie par la mise en place d’environnements capacitants.


Le véritable enjeu pour les entreprises et pour la société en général, c’est de bâtir un système éducatif, des dispositifs de formation qui permettent, même à ceux qui se dirigent vers le monde de l’entreprise ou qui y sont déjà, de s’entretenir avec un savoir séculaire accumulé au fil des générations, dans différents domaines de la connaissance (philosophie, histoire, anthropologie, poésie…).


Source : RH info



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